Une nouvelle page pour les sciences humaines et sociales : les lauréats de l’appel à projets en SHS

Lancé au début de l’année 2024 dans le cadre du programme France 2030, cet appel à projets national en sciences humaines et sociales (SHS) ambitionne de dynamiser l’innovation et la recherche dans ces disciplines. Le 10 décembre, un cap majeur est franchi avec l’annonce de ses lauréats : après une présélection de 17 projets en juillet [1], six d’entre eux se démarquent aujourd’hui et bénéficieront chacun d’un financement de neuf millions d’euros, marquant une ambition pour les SHS en France.

Ces projets lauréats s’attaquent à des problématiques majeures identifiées par l’Etat, comme la résilience face au changement climatique, les défis démocratiques, les tensions géopolitiques, la préservation du patrimoine et l’étude des dynamiques religieuses. Ils illustrent un véritable renouveau stratégique pour les SHS, les positionnant comme des acteurs clés dans la recherche de solutions aux grands défis contemporains.

Chronologie de la sélection et évolution des thématiques

Du lancement de l’appel au printemps 2024 jusqu’à la sélection des lauréats en décembre, le processus de choix s’est appuyé sur deux étapes d’évaluation. La première impliquait fortement le SGPI et le ministère en charge de la recherche quand la seconde était basée sur l’avis d’un jury international.

Le tableau ci-dessous illustre l’évolution entre les deux phases de sélection, montrant comment certaines thématiques se sont distinguées à chaque étape.

Source: Erdyn sur la base du communiqué du SGPI du 11 décembre 2024. [2]

Total

  • Première phase : 17 projets présélectionnés (couvrant huit thématiques sur neuf proposées dans l’AAP) ;
  • Deuxième phase : six lauréats (couvrant cinq thématiques).

Deuxième phase de sélection : cinq thématiques couvertes sur neuf présentes dans l’AAP SHS

Au final, seules cinq des neuf thématiques prioritaires de l’Appel à projets se retrouvent dans les six projets lauréats. Bien que ces initiatives bénéficient d’un écosystème solide (universités, écoles, et soutien de grands instituts de recherche comme le CNRS, l’Inria, l’Inrae ou l’IRD), la question de l’avenir des thématiques écartées (comme le travail ou les âges de la vie, sujets d’importance pour éclairer les évolutions du système de retraite en discussion au Parlement) reste ouverte. Seront-elles intégrées à un éventuel prochain appel, ou abandonnées dans le cadre de ce dispositif ? L’éventualité d’une seconde vague de cet AAP avait été évoquée dès son lancement.

De plus, si la diversité des acteurs (entreprises, collectivités territoriales, musées…) était encouragée, la sélection finale révèle une forte prédominance des universités et écoles (99 % contre 55 % à la première phase). Cette évolution interroge sur la prise en compte de la pluralité des partenaires et sur la place accordée aux collaborations avec le monde socio-économique, pourtant jugées essentielles au départ. A noter cependant que les projets peuvent avoir des collaborations avec d’autres acteurs qui n’auront pas pour autant le statut de partenaire du projet, remarque qui vaut aussi pour la couverture géographique (cf. infra). Mais l’association de partenaires socio-économiques au cœur de la recherche dans une logique collaborative et en cohérence avec l’approche sciences avec et pour la société nous semble tout de même moins présente dans les projets in fine sélectionnés à l’issu de cette deuxième phase que ce que la première pouvait laisser espérer.

Quelle répartition géographique pour les projets lauréats ?

La carte ci-dessous illustre la répartition des coordinateurs de projets lauréats à travers la France. Les couleurs indiquent le nombre de projets retenus par région, avec des teintes plus foncées dans les zones concentrant davantage de coordinateurs.

L’Île-de-France se démarque nettement, avec trois projets lauréats, reflétant la forte densité de structures de recherche dans la région. Le Grand Est, l’Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France accueillent quant à eux un coordinateur lauréat chacune, témoignant d’une capacité de leadership sur la recherche en SHS dans ces territoires.

Localisation des coordinateurs des projets lauréats de l’Appel à projets SHS de France 2030

Source: Erdyn sur la base du communiqué du SGPI du 11 décembre 2024.

Répartition des partenaires lauréats : une cartographie différente de celle de la DIRDA régionale

En complément de la carte sur les coordinateurs lauréats, celle ci-dessous présente la répartition des partenaires lauréats par région, en rapportant leur nombre à la part régionale de la DIRDA (Dépenses Intérieures de Recherche et Développement des Administrations) nationale. Plus la teinte de bleu est soutenue, plus la proportion de partenaires dans la région est élevée par rapport sa DIRDA. [3]

Plusieurs enseignements se dégagent :

  • Hauts-de-France : cette région se démarque par une proportion de partenaires plus de deux fois supérieure à ce que son niveau de DIRDA pouvait laisser supposer.
  • Pays de la Loire, Centre-Val de Loire et Bourgogne-Franche-Comté : ces trois régions n’ont ni coordinateur, ni partenaire dans la sélection finale, tout comme la Corse. Le fait que le Centre Val de Loire ait inscrit la question du patrimoine dans sa stratégie régionale d’innovation (S3) ou que la Corse présente un modèle institutionnel spécifique n’ont pas suffit à faire apparaitre ces régions sur ces thématiques dans cet AAP.
  • Outre-mer : Aucun territoire ultramarin n’apparaît dans cette sélection, alors même que plusieurs sont particulièrement exposés aux impacts du changement climatique (Mayotte…) ou face à des évolutions institutionnelles majeures (Nouvelle Calédonie).

Là aussi, au-delà de leur statut de partenaire ou coordinateur officiel des projets, des modalités d’association de ces territoires existent sur certains de ces projets retenus pour financement (par exemple pour la Nouvelle Calédonie et son université).

Comparaison entre la répartition régionale des partenaires et coordinateurs de projets et la DIRDA régionale

Source: Erdyn sur la base du communiqué du SGPI du 11 décembre 2024.

Regard vers l’avenir : et après ?

Les projets retenus devraient démarrer dès ce début d’année 2025 pour une durée maximale de huit ans, période durant laquelle ils devront passer du stade conceptuel à des applications concrètes. Cet appel à projets offre ainsi aux sciences humaines et sociales (SHS) l’opportunité de renforcer leur rôle stratégique dans la résolution des grands défis contemporains. En abordant des questions qui concernent directement les acteurs publics, privés et la société civile, ces initiatives sont susceptibles de reconfigurer les relations entre la recherche et le terrain et d’impulser des innovations durables.

Reste à savoir ce qu’il adviendra des thématiques non représentées dans la sélection finale et des 46 millions d’euros restant sur l’enveloppe initiale de 100 millions (chaque projet lauréat a reçu la même enveloppe de neuf millions d’euros[1], ce qui est atypique par rapport à des AAP précédent, comme ExcellencES par exemple, où les sommes allouées était spécifiques à chaque projet). La crise financière pourrait-elle amener l’État à revoir ses priorités, ou bien ces fonds seront-ils réalloués à un nouvel appel ciblant les sujets sans projet retenu ? Les prochains mois devraient apporter des réponses sur ces questions, qui impacteront à la fois l’avenir de la recherche en SHS sur ces thématiques et la dynamique globale pour ces disciplines.

Sources: 

[1] Appel à projets national en sciences humaines et sociales : vers une phase finale de sélection – Erdyn > Conseil en Innovation

[2] France 2030 : 6 projets lauréats du dispositif « Programmes de recherche en sciences humaines et sociales » | info.gouv.fr

[3] Note méthodologique : l’indice de spécialisation.

Pour évaluer à quel point chaque région est représentée dans les projets lauréats, nous avons établi un « indice de spécialisation ». Celui-ci met en regard la proportion de partenaires et coordinateurs issus d’une région et la part de ses dépenses de R&D (DIRDA) dans la DIRDA nationale. Concrètement, l’indice s’obtient en divisant la part (en %) de partenaires et coordinateurs de la région par la part (en %) de la DIRDA que cette région représente à l’échelle du pays.

  • Un indice inférieur à 1 traduit une présence régionale plus faible que ne le laissait supposer son poids en DIRDA.
  • Un indice égal à 1 signifie que la région est représentée à hauteur de son importance dans les dépenses de R&D.
  • Un indice supérieur à 1 indique au contraire une surreprésentation de la région par rapport à son niveau de DIRDA.

Important : Les organismes nationaux (CNRS, Inria, Inrae et IRD) ne sont pas attribués à une région précise dans ce calcul, afin d’éviter une surreprésentation de certaines régions, notamment l’Île-de-France.

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