Quel avenir pour la valorisation chimique de la lignine ?

La lignine est l’un des polymères les plus abondants composant la biomasse végétale, après la cellulose et l’hémicellulose. Cette abondance conjuguée aux problématiques environnementales fait d’elle l’objet de nombreuses recherches pour développer de nouvelles voies de valorisation chimique. Pour substituer les composants pétrosourcés, et en particulier le phénol, trois grands types de lignines se dégagent aujourd’hui, chacun à des niveaux de maturité bien différents. Si l’évolution de la valorisation chimique de ces lignines est encore difficile à anticiper d’un point de vue quantitatif, son avenir s’annonce à coup sûr prometteur.

 

Un potentiel gigantesque

La lignine (du latin lignum qui signifie bois) est une famille de macromolécules polyphénoliques, l’un des principaux composants du bois avec la cellulose et l’hémicellulose. Quantitativement, la lignine forme la troisième famille de composés par ordre d’abondance dans les plantes et dans les écosystèmes terrestres où domine la biomasse végétale morte ou vive (15 à 25 %), après la cellulose (constituant 35 à 50 % de la biomasse végétale terrestre) et l’hémicellulose (30 à 45 %). La lignine est aujourd’hui utilisée en bois d’œuvre et en combustible, mais son abondance conjuguée aux problématiques environnementales fait d’elle l’objet de nombreuses recherches pour développer de nouvelles voies de valorisation. Les grands producteurs de lignine restent aujourd’hui les fabricants de pâtes à papier par voie chimique (Borregaard, Stora Enso, UPM, etc.). A l’échelle mondiale, ce ne sont pas moins de 50 millions de tonnes de lignines qui sont produites chaque année.[1]

Mais une valorisation chimique encore faible

La voie de valorisation privilégiée dépend fortement des prix de l’énergie (avantage de la combustion de lignine par rapport à l’apport d’énergie extérieure) et des valeurs ajoutées des applications. La valorisation chimique des lignines reste très faible (< 3 %) par rapport à sa valorisation en tant que combustible. La synthèse de résines phénoliques constituent la principale application actuelle. Pour des applications de substitution totale d’une ou diverses substances, une lignine « prête à l’emploi » devient attractive à un prix proche de celui du phénol, son usage n’impliquant alors pas d’investissements plus coûteux. Pour des substitutions partielles, elle doit être à un prix inférieur à celui du phénol pour justifier les étapes supplémentaires nécessaires. A ce prix peut s’ajouter un supplément possible pouvant valoriser l’origine biosourcée.

Les lignosulfonates dominent, les lignines Kraft s’installent, les lignines Organosolv encore dans le flou

Les lignosulfonates sont le type de lignine le plus représenté sur le marché, avec 1,3 millions de tonnes de capacités de production dans le monde. Dominé par le norvégien Borregaard LignoTech, ce marché est le plus mature.

Loin derrière avec des capacités actuelles de production aux alentours de 123 000 tonnes par an, les lignines Kraft constituent la deuxième source, dominée par les grands papetiers scandinaves (Stora Enso, UPM) et nord-américains (West Fraser, Domtar). La demande est croissante, et de nouveaux entrants se positionnent sur ce marché, rendant son évolution difficile à anticiper.

Encore timides, les procédés Organosolv (utilisant différents mélanges de solvants pour l’extraction de lignine) peinent à s’industrialiser. Bien qu’ils fassent l’objet de recherches depuis de nombreuses années, ce type de lignine n’en est actuellement qu’à l’échelle pilote, freiné par les lourds investissements nécessaires à son industrialisation. Les quelques acteurs européens et américains disposent d’une capacité totale de quelques dizaines de tonnes par an seulement. Etant des lignines de grandes qualités, les projets s’intensifient mais il faudra encore attendre quelques années avant une production industrielle établie.

Quel avenir pour la lignine ?

Les résines phénoliques resteront l’application prioritaire, mais de nombreuses autres sont à l’étude, à des stades parfois déjà bien avancés. Premier exemple : la synthèse de fibres de carbone. Fournissant une plus grande performance mécanique que les fibres de verre, les intérêts sont particulièrement portés sur la fabrication de pales des éoliennes[2] ou dans l’automobile pour alléger les structures et ainsi réduire la consommation de carburant.

A l’opposé maintenant, Stora Enso (n°1 mondial de la lignine Kraft) prévoit à court terme de valoriser sa gamme en remplaçant le bitume dans l’asphalte. H4A, société travaillant dans le domaine de la construction de bâtiments et de routes, a déjà utilisé avec succès leurs produits en remplaçant la moitié du bitume par de la lignine.[3] Autre avantage, la production de bio-asphalte avec de la lignine nécessite moins d’énergie car la température de mélange de l’asphalte peut être considérablement réduite, réduisant doublement l’empreinte carbone.

Poursuivons avec Stora Enso, qui multiplie les projets. Le groupe a annoncé en août 2019 investir 10 M€ dans la fabrication de matériaux de carbone biosourcé pour le stockage d’énergie à Sunila Mill (Finlande), son site de production de lignine Kraft. Le groupe a même sa propre usine pilote à Sunila.[4]

En Belgique, le projet Derbigum[5] vise à développer une filière wallonne pour la collecte, l’extraction et l’usage de la lignine. Le projet belge LignoValue[6] doit déboucher début 2021 sur une ligne pilote opérationnelle en Flandre pour la production de bioaromatiques à partir de lignine. Le projet européen LigniOx[7] a pour objectif de démontrer la viabilité technico-économique d’une technologie de conversion de lignine en dispersants, en visant notamment les plastifiants pour béton et les peintures.

 

La lignine aborde donc un tournant dans sa valorisation chimique : demande croissante, multiplication des applications, diversité des lignines produites. Les projets industriels se développent enfin. Nul doute que l’avenir chimique de la lignine s’annonce prometteur, en attendant un cadre réglementaire favorable pouvant rendre cet avenir encore plus ambitieux.

 

[1] ADEME, « Etat de l’art sur la production de molécules chimiques issues du bois en France », Rapport final, Septembre 2015
[2] Valbiom, « Molécules issues de la valorisation de la lignine », Jean-Luc Wertz, Mars 2015
[3] https://www.storaenso.com/en/newsroom/news/2019/9/the-many-applications-of-lignin-bio-asphalt
[4] https://www.storaenso.com/en/newsroom/news/2019/8/bio-based-carbon-materials-for-batteries
[5] https://www.gembloux.ulg.ac.be/chimie-biologique-industrielle/?page_id=215
[6] https://vito.be/en/news/lignovalue-pilot-launched
[7] https://cordis.europa.eu/project/id/745246

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