La neutralité carbone : l’industrie chimique face au défi du siècle

Objectif 2050. Le compte à rebours est lancé : l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 a été formulé par une soixantaine de pays en septembre 2019, dont l’Union Européenne.[1] Pour cela, planter des arbres ne va pas suffire. Une mutation en profondeur de tous les secteurs d’activité est nécessaire, en particulier dans l’industrie chimique, très énergivore. Mais les chimistes européens sont prêts à continuer sur leur lancée.

Face au défi climatique, tous les secteurs ou presque n’ont d’autres choix que de se transformer en profondeur. Au banc des accusés, on retrouve notamment le transport, l’agriculture, et l’industrie. Au niveau mondial, cette dernière est responsable d’environ 18 % des émissions de gaz à effet de serre. Au niveau de l’Europe des 28 le podium est différent, l’industrie étant troisième émetteur avec 20 % des émissions derrière l’énergie (27 %) et le transport (22 %). Au niveau national, son poids est quasiment identique (18 % selon le gouvernement), placée deuxième derrière le secteur des transports (29 %).[2] La neutralité carbone étant l’enjeu majeur des décennies à venir, l’industrie va devoir utiliser tous les leviers possibles pour réduire ses émissions, en trouvant les moyens d’embarquer fournisseurs et clients.

Quand il s’agit de chercher les pionniers de la neutralité carbone, il faut aller loin des idées reçues. En effet, c’est en Afrique et en Asie qu’il faut les chercher. Le Bhoutan a atteint la neutralité carbone dès 2015, grâce à ses forêts et à ses fantastiques capacités de production d’hydroélectricité. C’est cette même année que l’Ethiopie a annoncé qu’elle attendrait l’équilibre climatique en 2030. Sous cette impulsion, des pays d’Asie et d’Océanie se lancent également : le gouvernement néo-zélandais achève la rédaction d’un projet de loi qui devrait reprendre cette échéance, le Japon vise la neutralité carbone durant la seconde moitié du siècle.[3] Mais à rebours de cette élan, l’administration Trump a sorti les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat en juin 2017, et détricote depuis les réglementations environnementales de l’ère Obama.

Seule l’Union Européenne coordonne des actions au niveau continental. Pour atteindre cette neutralité visée par une soixantaine de pays dans le monde (dont l’Union Européenne) d’ici 2050, fermer les centrales à charbon, développer les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique ne va pas suffire, même si cela a tout de même permis à l’Europe de réduire de 22 % ses émissions par rapport à 1990, et donc de dépasser son objectif de – 20 % en 2020.[1] Pour continuer sur cette lancée, cela passera nécessairement par des investissements conséquents, en particulier pour l’industrie chimique, très énergivore.

L’industrie chimique joue le jeu

Dans l’Hexagone, l’industrie chimique est le plus gros consommateur de gaz (30 %) et d’électricité (20 %). Les industriels français ont joué le jeu depuis 3 décennies maintenant, éliminant notamment 95 % des émissions de protoxyde d’azote (N2O) au pouvoir de réchauffement global 300 fois supérieur à celui du CO2. A titre de comparaison, les Etats-Unis ont réduit de près de 13% Ajoutez à cela à une meilleure efficacité énergétique, une utilisation privilégiée du gaz par rapport au charbon et au fioul, et des investissements dans les énergies renouvelables (biomasse, chaleur de récupération, etc.), et vous obtenez une diminution des émissions de 61,3 % sur la même période.[1]

L’organisation professionnelle France Chimie estime que le secteur pourrait réduire encore de 7 % à 25 % les émissions actuelles d’ici 2030, à production constante. Atteindre de telles performances passerait par l’utilisation d’énergies décarbonées et de procédés innovants, mais aussi par le développement de la capture, stockage et réutilisation de CO2. En somme, par des investissements considérables. A titre d’exemple, la VCI (fédération allemande du secteur) estimait en 2019 une neutralité carbone de la chimie outre-Rhin possible à l’horizon 2050 à condition d’investir pas moins de 45 milliards d’euros.[4] Assez pour freiner les efforts consentis depuis 3 décennies maintenant ? Pas si sûr.

Quand « hausse de production » rime avec « diminution de l’intensité énergétique »

Entre 1990 et 2016, les efforts des industriels ont permis de réduire de 61 % les émissions au niveau européen et de 55 % l’intensité énergétique de la chimie. Dans le même temps, la production a enregistré une hausse de 84 % (filière pharmaceutique incluse)[1], preuve qu’une hausse de production peut s’accompagner d’une diminution des émissions, si tant est que les moyens nécessaires soient mis en œuvre.
Devant de tels résultats, les investissements nécessaires pour poursuivre les efforts paraissent d’emblée moins effrayants. Et pour atteindre ce graal annoncé de la neutralité carbone, les investissements devront soutenir à la fois les technologies permettant de décarboner la consommation d’énergie mais également les procédés industriels eux-mêmes.

Les projets se multiplient

Certains sont déjà à l’œuvre. A Gand (Belgique), Air liquide a signé un accord avec l’aciérie d’ArcelorMittal pour fournir un système de purification des gaz carbonés sortant des hauts fourneaux pour les transformer ensuite en bioéthanol.[5]

Autre exemple à l’échelle d’un groupe entier avec le chimiste allemand Lanxess (15 500 salariés, 7,2 milliards d’euros de ventes en 2018), ayant déjà réduit de moitié ses émissions depuis 2004. Aujourd’hui, le groupe va plus loin et ambitionne de diviser d’un facteur 10 ses émissions actuelles d’ici 2040 (de 3,2 millions de tonnes à moins de 300 000 tonnes).[1] Pour cela, pas de secret, la stratégie est bien d’agir sur l’ensemble des opérations : améliorations de procédés, utilisation d’énergie décarbonée, mesures compensatoires pour les émissions résiduelles.

Et le groupe allemand n’est pas le seul. Le norvégien Yara (17 000 salariés, 11,7 milliards d’euros en 2018) a lui aussi la neutralité carbone en ligne de mire. Géant européen des engrais, le groupe développe notamment des projets d’alimentation en hydrogène vert pour ses complexes de production d’ammoniac. Deux ont déjà été lancés en 2019, l’un en Australie avec le français Engie[6] et le second en Norvège avec le norvégien Nel (acteur spécialisé dans l’hydrogène).[7]

Indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique, le captage et stockage de CO2 (ou CCS, pour « Carbon Capture Storage ») fait également l’objet de nombreux intérêts. Le projet norvégien Northern Lights préfigure une chaîne commerciale complète, comprenant le captage de CO2 industriel (ciment et valorisation énergétique) et son expédition vers un site de stockage offshore sous-marin en mer du Nord. Le projet a convaincu les géants pétroliers Equinor, Shell et Total.[8] Et si ce dernier consacre d’ailleurs 10 % de sa R&D au sujet, c’est autant pour décarboner ses activités que pour s’ouvrir un nouveau marché.[9]

 

La route est encore longue, mais l’industrie chimique européenne a déjà accéléré sa course, avec en ligne de mire 2050 et cet objectif ambitieux certes, mais pas impossible de la neutralité carbone.

 

[1] https://www.usinenouvelle.com/article/l-europe-annonce-sa-neutralite-carbone-d-ici-a-2050-des-industriels-relevent-le-defi.N913129
[2] https://www.usinenouvelle.com/article/objectif-neutralite-carbone-de-tres-lourds-investissements-a-venir-dans-la-chimie.N925709
[3] http://www.journaldelenvironnement.net/article/ces-pays-qui-font-le-choix-de-la-neutralite-carbone,98017
[4] https://www.usinenouvelle.com/article/avec-45-milliards-d-euros-la-chimie-allemande-n-emettrait-plus-de-co2-en-2050.N893164
[5] https://fr.media.airliquide.com/actualites/air-liquide-collabore-avec-arcelormittal-dans-un-projet-pilote-pour-capturer-et-recycler-les-emissions-carbone-4efd-1ba6d.html
[6] https://www.yara.com/news-and-media/news/archive/2019/yara-and-engie-to-test-green-hydrogen-technology-in-fertilizer-production/
[7] https://www.yara.com/news-and-media/news/archive/2019/yara-and-nel-carbon-free-hydrogen-for-fertilizer-production/
[8] https://northernlightsccs.com/en/about
[9] https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-total-parie-sur-le-projet-norvegien-de-captage-et-stockage-de-co2-northern-lights.N925694

 

2020-03-13T17:50:26+01:00vendredi 13 mars 2020|Non classifié(e)|

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