Intuitivement, l’arrêt de la production de l’A380 alors que le trafic aérien est en croissance de plus de 5% par an (doublement tous les 15 ans) est porteur de mauvais présages. Mais la thèse optimiste pour les écosystèmes d’innovation est tout à fait défendable car cela confirme toute une gamme d’opportunités d’innovations. Si la transition numérique est bien connue de tous, une transition aéronautique est aussi à l’œuvre plus discrètement : nous quittons le transport de masse et volons vers la mobilité individualisée.
L’arrêt de la production d’A380 montre les limites du transport de masse
D’abord il faut repréciser que l’aviation est récente dans l’histoire humaine. On se déplace par voie aérienne depuis moins d’un siècle alors que les voies maritimes et terrestres bénéficient de plusieurs siècles d’expérience. Les airs sont un environnement hostile à cause de l’altitude, du froid, de la faible pression, des turbulences et de la foudre. Il fallait donc des savoirs bien particuliers et pointus pour les conquérir tels que la mécanique des fluides, les technologies de propulsion, les matériaux, les capteurs… Parmi toutes les architectures possibles d’aéronefs (voilure fixe, voilure tournante, aérostats, fusés…), c’est l’avion au sens commun – à savoir un fuselage, des ailes fixes et des réacteurs – qui a permis d’élever les masses à moindre coût avec comme ligne directrice des avions toujours plus gros pour optimiser l’énergie consommée par passager.
Cette logique du toujours plus gros a désormais trouvé ses limites face à d’autres principes plus robustes face à un cours du pétrole fluctuant. Les technologies numériques permettent d’organiser des correspondances efficaces dans des aéroports hubs alors que l’A380 nécessite des infrastructures dédiées et coûteuses (pistes d’atterrissages plus longues, plus larges et plus résistantes ; salle et couloirs d’embarquements adaptés). Les nouvelles organisations du contrôle aérien permettront d’augmenter la fréquence des décollages et atterrissages sans risque. Enfin la tendance globale est à l’individualisation.
L’essor du transport de masse personnalisé
Pour ceux qui en ont les moyens, il n’est plus nécessaire d’emprunter un gros avion pour franchir des grandes distances. Les derniers jets privés tels que le Dassault Falcon 7X ou le Gulfstream G650 peuvent voler de Londres à Singapour sans escale. Pour les passagers lambdas, des longs courriers offrent un confort égal à l’A380 sans nécessiter d’infrastructures spécifiques (A350, 787). Pour les plus modestes, les vols low-cost ne se limitent plus aux aéroports les plus isolés ; il n’est plus nécessaire d’aller à Beauvais de Paris pour emprunter un vol low-cost. Ces vols low-cost ne se limitent plus aux courtes distances, il est désormais possible de traverser l’Atlantique. Enfin cette vague de massification bas coût est compensée par un large choix d’options rendant l’expérience passager individuelle : choisir son siège, choisir son repas, choisir son lot de films et séries dans l’IFE (In-Flight Entertainment), choisir son service de connexion wifi, choisir à côté de qui on s’assoit pour étendre son réseau… Les services d’individualisation de l’expérience passager sont déjà un champ d’innovation à part entière. Mais au cours de ce siècle l’individualisation concernera le cœur même de notre mobilité par voie aérienne.
Vers une mobilité aérienne individualisée
De nombreux progrès techniques nous rapprochent d’une mobilité aérienne individualisée. Grâce aux simulations numériques, des architectures d’aéronefs très variées peuvent être testées pour optimiser l’énergie dépensée par passager mais aussi le bruit, la sécurité. D’autres simulations concernent la gestion globale pour les compagnies aériennes de cette nouvelle mobilité (embarquement, rythme des rotations, modularité, etc.). Des logiques plus astucieuses que l’augmentation de la taille telles que la portance active ou la propulsion hybride ont émergé et deviendront courantes au cours de ce siècle. L’automatisation diminuera le niveau de compétence requis pour se voir confier la trajectoire d’un appareil. Les progrès dans les commandes de vol et l’aérodynamique généraliseront les convertibles voilure tournante-fixe pour minimiser les infrastructures d’atterrissage et décollage ce qui permettra d’emprunter un aéronef au plus près de son besoin. Enfin les projets de Personal Aerial Vehicle ou PAV ne sont plus des rêves de startupers mais des démarches structurées notamment chez les grands groupes aéronautiques historiques. L’avenir promet donc une mobilité individualisée répartie sur les territoires en complément du transport massifié et concentré vers des gros aéroports.
Si les questions énergétiques et de sécurité occupent les experts aéronautiques, ces nouveaux engins offriront surtout des nouvelles possibilités de modèles économiques qui restent largement inexplorées. Quelle est la chaine de valeur et comment se partagera-t-elle entre les acteurs ? Qui seront les adopteurs précoces et pour quels cas d’usage ? Quel est le nouvel optimum entre marchandises et passagers (les avions de lignes actuels cumulent déjà les deux fonctions) ? Quels seront les services proposés autour de cette mobilité individualisée ? Comment les évolutions des transports aériens pourront-elles se faire avec une préoccupation de limitation des émissions de gaz à effet de serre ?
Fabien JEAN