La mobilité aérienne urbaine (Urban Aerial Mobility – UAM)
Dans un article précédent à l’occasion de l’arrêt de la production de l’A380, nous décrivions que le transport de passagers par voie aérienne évolue vers une plus grande personnalisation, avec à long terme des petits aéronefs empruntables à proximité de nos lieux de vie quotidiens. À écouter certains acteurs (Uber Elevate, EHang), l’horizon temporel de cette mobilité aérienne urbaine s’est beaucoup rapproché. En Europe l’appel à projets MG-3-6-2020 a été lancé et certaines villes du réseau EIP SCC annoncent des partenariats sur le sujet. À vrai dire, la mobilité aérienne urbaine existe déjà, mais des transformations sont nécessaires pour qu’elle s’émancipe et des freins subsistent avant qu’elle se concrétise en termes d’opportunités économiques.
La mobilité aérienne urbaine existe déjà !
A Sao Paolo, New York, San Francisco ou Mexico il est déjà possible de se déplacer en hélicoptère depuis de nombreuses années. Mais ce type de mobilité a longtemps fonctionné sur le modèle de la location d’hélicoptères avec pilotes pour des montants très élevés. Depuis peu, le numérique rend plus accessible cette mobilité aérienne car il permet de mieux organiser les trajets : à la fois mutualiser entre passagers, c’est-à-dire partager le prix de location de l’hélicoptère et son pilote, mais aussi mieux affréter les appareils en juste adéquation avec la demande de déplacements. Le prix toujours plus élevé que d’autres modes de transports est toutefois justifiable pour une population de plus en plus large eu égard au gain de temps offert sur des liaisons particulières. Actuellement la majorité des vols sont des liens avec les aéroports pour ne pas rater son avion, arriver à l’heure à une réunion, optimiser le temps de travail…
Donc la mobilité aérienne urbaine existe déjà mais dans un nombre de métropoles et pour une population limités. Peut-elle s’émanciper ?
Des transformations importantes sont à venir
Des transformations technologiques initiées dans le monde des drones ouvrent de nouvelles perspectives à cette mobilité aérienne bridée.
Nous l’évoquions déjà dans notre article précédent, les progrès dans les simulations numériques permettent de concevoir des architectures d’aéronefs très novatrices en les testant virtuellement avant de dépenser des montants colossaux et de risquer la vie de pilotes dans des essais aériens. Ces architectures comportent souvent de multiples voilures fixes et tournantes permettant des meilleurs compromis entre l’énergie dépensée, le bruit, la manœuvrabilité et la sécurité. Il s’agit par exemple de combiner décollage et atterrissage verticaux des hélicoptères avec vitesse et faible consommation des avions (On parle de concepts VTOL). Ces progrès sont cruciaux pour diversifier le type de déplacements effectués dans les airs et se rapprocher de l’idéal du taxi aérien.
Les nouveaux concepts d’aéronefs privilégient souvent les moteurs électriques qui émettent moins de bruit et de particules (On parle de concepts eVTOL). Cette électrification permettra de réduire les coûts de développement et surtout de maintenance par rapport aux turbines à gaz et moteurs thermiques actuels.
Enfin le pilotage deviendrait de plus en plus automatisé réduisant le niveau de formation des pilotes jusqu’à idéalement se passer totalement de pilote humain, permettant à la fois de réduire les coûts et d’embarquer plus de passagers ou de charge utile.
Les progrès technologiques convergent donc vers une mobilité aérienne urbaine économiquement viable. Quelles barrières s’opposent encore à son développement ?
Des freins majeurs subsistent
Le frein à ces transformations le plus fondamental est le coût énergétique car les progrès technologiques ne changent pas les lois de la physique : élever une charge dans les airs nécessite beaucoup d’énergie. Cette énergie est encore plus importante dans le cas de décollages verticaux, pourtant nécessaires à la multiplication d’infrastructures de petites tailles. De plus l’énergie électrique stockée dans des batteries requière plus de masse que son équivalent en carburant et induit donc plus de contraintes sur l’autonomie et par conséquent les usages.
Le deuxième frein est la sécurité. Actuellement certaines métropoles sont interdites au survol pour des raisons de sécurité. Dans d’autres villes le survol est limité à des hélicoptères avec deux pilotes et deux moteurs… La mobilité aérienne urbaine nécessitera donc à la fois d’amoindrir les contraintes de sécurité actuelles et de démontrer que les nouveaux aéronefs sont suffisamment fiables. Cela représente une contrainte particulièrement lourde en comparaison avec d’autres modes de mobilité (tramway, covoiturage, trottinette, vélo…).
Le dernier frein majeur est l’acceptabilité. La mobilité aérienne urbaine n’est pas une solution à la congestion pour tous car elle restera onéreuse et beaucoup plus limitée en nombre de passagers que les transports en commun de masse. Au contraire elle provoquera des nuisances sonores et visuelles au plus grand nombre subissant encore la congestion.
Une opportunité économique à long terme
Malgré ces barrières tenaces on observe déjà qu’un écosystème structuré se met en place avec des acteurs se spécialisant dans les véhicules (Volocopter, Lilium…), les infrastructures (Skyports, Aéroports de Paris), les opérations ou même le calcul de rentabilité de ces opérations. En effet la rentabilité est un point clé face aux investissements colossaux nécessaires dans les infrastructures et le développement d’aéronefs fiables. Dans le cadre d’une étude de marché pour un concept de véhicule à l’architecture très novatrice, les calculs de l’équipe Mobilité et Numérique d’Erdyn ont dévoilé que le seuil de rentabilité (point mort) est franchi en quelques années mais varie fortement en fonction des technologies disponibles.
Reste que deux faits apparaissent incontournables à un horizon visible. Primo, la mobilité urbaine ne constituera pas, dans les 20 ou 30 prochaines années, une solution pour la décongestion : il s’agit soit d’un moyen de s’extraire des congestions, soit d’un vecteur permettant le développement de nouveaux usages. Secundo, le régime de croisière n’est pas pour demain ; 2030 semble un horizon raisonnable pour voir se développer des usages commerciaux au-delà des expérimentations.
Fabien JEAN et Olivier FALLOU, consultants dans la Mobilité et le Numérique chez Erdyn